Confessions d’une dauphine

En aout 2015, j’avais écrit ce texte, Confessions d’une dauphine, extrait de mon  recueil Points de vue à paraitre.

One voice vient de publier un article sur une souffrance de mère dauphine semblable, voici le lien, signez la pétition et toutes celles qui plaident pour défendre la liberté et la vie de ces êtres incroyables que sont les dauphins et cétacés.

http://one-voice.fr/fr/blog/femke-une-mere-au-coeur-brise.html

Voici mon texte de 2015, en écho à cette souffrance.

  CONFESSIONS D’UNE DAUPHINE

Je ne suis pas un poisson.

Ceux qui l’affirment ne connaissent sans doute rien de la mer.

Ou peut être n’ont-ils jamais vraiment eu envie de savoir qui nous sommes, nous les dauphins.

Nous sommes des mammifères, tout comme l’homme,  même si nous vivons dans l’eau.

De ce fait nous avons nous aussi besoin de respirer à la surface de l’eau pour survivre.

Mais notre capacité à nous oxygéner à chaque inspiration est si grande que nous pouvons rester plus longtemps sous l’eau.

Nous pouvons également descendre à de grandes profondeurs sans craindre la pression.

Dans l’océan, nous nageons et plongeons dans une immensité vivante pour laquelle notre corps et nos muscles ont été conçus.

Mais parfois nous rencontrons des limites.

Les filets de pêcheurs dans lesquels nous nous prenons par mégarde nous sont souvent mortels, nous empêchant de remonter à la surface pour respirer.

Difficile de les détecter, malgré notre système performant de sonar.

En outre, certains pêcheurs nous pourchassent pour nous capturer, ou même vendre notre chair comme celle d’un vulgaire poisson.

Ils coupent nos nageoires et nous rejettent ensuite sanguinolents dans la mer, où nous mourrons en nous vidant de notre sang dans des souffrances atroces.

Nous ne sommes pas des poissons.

Nous ne pondons pas d’oeufs et allaitons nous aussi nos  petits.

L’Homme nous classe dans la catégorie de l’animal, c’est à dire, par opposition à l’homme, un être vivant et animé dépourvu de langage articulé.

Mais que sait-il réellement de notre langage ?

L’Homme nous traite comme une race inférieure, même s’il nous reconnait souvent une certaine intelligence.

Il étudie notre cerveau et ses circonvolutions pour en déduire que nos facultés intellectuelles pourraient être égales à celles des grands singes, sans aller jusqu’à accepter l’idée qu’elles pourraient être supérieures aux siennes.

Encore faudrait-il qu’il comprenne que le cerveau n’est qu’un outil et que de nombreuses facultés cognitives ou sensorielles n’ont rien à voir avec le corps.

Mais peu importe, car ses croyances scientifiques nous protègent dans une une certaine mesure de l’extermination.

Sans doute ne sont-elles pas arrivées jusqu’à la baie de Taiji, baie de la honte où flotte périodiquement le sang de milliers d’innocents.

L’Homme ne sait pas à quel point nous sommes conscients de notre sort.

Pour le moment, il nous est difficile de lui faire confiance et de lui communiquer tous nos secrets.

Mais je me suis échappée d’un delphinarium, et je peux à présent témoigner.

Jouer est ce que nous préférons le plus, et c’est pour ça que nous tenons le coup.

Lors des shows, les dresseurs nous nourrissent à chaque pirouette, chaque figure accomplie, et nous acceptons de nous prêter au jeu.

Certains pensent que nous exécutons des tours pour être nourris.

Ils ont raison, mais pas pour la bonne raison.

Avant les spectacles la nourriture est rationnée pour qu’ayant faim nous soyons motivés à exécuter nos tours.

Cette technique est bonne pour les animaux de cirque, mais nous, nous avons une conscience et un pouvoir de choix, comme celui de décider de ne pas nous nourrir pour protester.

Ou de nous laisser couler quand la vie nous semble devenue trop dure.

Nous fermons notre event., et ce n’est pas plus dur que cela.

L’esclavage et la prison ne valent pas toujours la peine d’être vécus.

Certains pensent que nous faisons des tours pour être acclamés, admirés, et que leur faire plaisir suffit à nous motiver.

Le plaisir nous importe, c’est certain, mais le nôtre avant toute chose, car nous ne devons rien à l’Homme.

Il y eut un temps où nous avons accompli ensemble de grandes choses ensemble, comme des égaux, un temps où nous coopérions.

Mais c’était il y a bien longtemps de cela.

Nous acceptons encore de rendre des services à l’Homme, mais plus par empathie qu’autre chose.

Nous comprenons la souffrance des autres êtres vivants,

la détresse d’un être qui se noie, la solitude et la difficulté à communiquer d’un enfant autiste,  et nous ne supportons pas de ne pas essayer d’y faire quelque chose.

Il y a des choses simples nous concernant qui sont pourtant ignorées de la plupart des hommes.

Comme par exemple le fait que nous contrôlons consciemment notre respiration.

C’est la raison pour laquelle nous ne dormons jamais vraiment.

Si nous le faisions, nous arrêterions de contrôler notre souffle et coulerions.

Notre pouvoir de contrôle conscient est bien plus grand que l’Homme ne le pense.

Il nous compare souvent à des singes ou à des chiens savants à qui l’on apprend quelques tours habiles.

Pourtant, nous comprenons et apprenons bien plus vite que ces derniers, et ne reproduisons un tour que si tel est notre bon vouloir.

Même si les dresseurs s’en attribuent la gloire, il n’est nul besoin de nous dresser.

Il nous suffit d’observer une fois pour pouvoir ensuite dupliquer, si tel est notre intérêt.

  Notre faculté d’observation est immense, et nous aimons apprendre.

Je me souviens d’Enea, ma fille, née en captivité.

Elle fut un jour séparée de moi par une cloison.

Elle n’avait que quelques mois, et je l’allaitais encore.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

Il y avait trois boutons le long de la cloison : le vert qui permettait de l’ouvrir, le rouge de la fermer, et le jaune de la verrouiller ou  déverrouiller.

J’ai observé mon dresseur appuyer sur le bouton jaune puis sur le bouton vert, tandis que la paroi se retranchait sur le côté, permettant aux deux bassins de communiquer.

Enea a reçu l’ordre de se diriger vers l’autre bassin.

Puis mon dresseur a appuyé sur le bouton rouge pour refermer la paroi, et sur le bouton jaune pour la verrouiller.

J’ai entendu Enea siffler de l’autre côté. Elle était affolée, ne comprenant pas pourquoi on nous séparait.

Alors, sans que mon dresseur me le demande, j’ai appuyé avec mon rostre successivement sur le bouton jaune puis sur le bouton vert pour ouvrir la cloison.

Mon dresseur est resté bouche bée, car il n’avait pas eu le temps de me « dresser », ni de m’ordonner quoi que ce soit…

Et c’est comme ça pour la plupart des tours.

Je comprends vite ce que l’on attend de moi.

Mais parfois je n’ai aucune envie de dupliquer, je préfère certains jeux à d’autres.

Les dresseurs n’aiment pas tellement cela, ils le vivent comme un échec personnel et nous réprimandent parfois.

Mais ils s’inquiètent aussi pour nous, car nous sommes leur outil de travail.

Je sais qu’ils nous aiment bien, mais il demeure qu’ils cautionnent notre captivité.

Lisa n’est pas comme les autres.

Elle est arrivée un jour pour remplacer le dresseur qui s’était blessé en glissant sur le bord de notre bassin.

J’ai su tout de suite qu’elle était différente.

Je pouvais lire dans ses pensées.

Elle comprenait que je ne rêvais que de liberté, que je jouais le jeu mais n’étais pas heureuse dans ce bassin étroit.

Pour Enea, c’était différent. Jeune dauphine née en captivité, elle n’avait pas encore pris conscience de son potentiel et de la vie qui l’attendait.

Elle ne connaissait pas son père, moi si.

Connor m’a été imposé.

Je n’ai rien pu faire quand on a introduit dans mon bassin ce grand mâle nerveux et puissant que je n’avais pas choisi.

Il m’a prise par surprise, moi qui croyais qu’il voulait simplement jouer.

Il me mordillait, me tournait autour, me caressait les flancs, mais moi je ne connaissais encore rien aux jeux de l’amour.

Quand j’ai été capturée, j’étais encore très jeune. Je m’étais prise dans l’un de ces maudits filets qui m’a blessée.

J’aurais facilement pu survivre dans la mer, les blessures guérissent avec l’iode et le sel de mer, mais on m’a capturée.

Si c’était pour me soigner, force est de constater qu’on n’a pas souhaité me relâcher ensuite.

Ma mère s’est noyée à cause de ce maudit filet, et je n’ai rien pu faire pour la sauver.

Je n’oublierai jamais son regard de détresse quand elle a lâché les dernières bulles d’oxygène qui restaient dans ses poumons.

Pour Connor, il a été assez vite retiré de mon bassin, parce qu’il montrait à mon égard une agressivité dangereuse.

Je ne l’aimais pas. Il m’avait prise par surprise et je ne pouvais plus lui faire confiance.

Depuis ce moment, j’ai refusé ses avances et ses propositions de jeu.

Ca l’a rendu nerveux.

Nous, les dauphins, choisissons dans la mer librement nos compagnons et compagnes.

Nous avons une vie sentimentale et sociale très active, et ce que nous faisons, nous le faisons par plaisir.

La contrainte et l’enfermement artificiel nous font dépérir.

Mais n’est-ce pas le lot de toute créature vivante que d’être sensible à la liberté et de vouloir vivre en exerçant son pouvoir de choix ?

Certains affirment que ceux de ma race nés en captivité

ne souffrent pas parce qu’ils n’ont jamais connu l’océan.

Qui oserait dire qu’un oiseau né en cage et élevé en cage est heureux de son sort sous prétexte qu’il est choyé et n’a jamais connu le vol dans les grands espaces ?

Ouvrez la porte de sa cage, et observez ce qui se passe…

Lisa comprenait tout ça, et elle a cherché à m’aider.

Elle ne travaille plus au delphinarium, ils l’ont renvoyée juste après ma fuite.

C’est un risque qu’elle a accepté.

Enea m’a été enlevée au bout de quelques mois, et j’ai commencé à déprimer.

Elle a été envoyée dans un autre delphinarium, au bout du monde.

Et même si je suis toujours en contact avec elle par la pensée, je me fais toujours du soucis pour elle, car elle est toujours captive.

Un jour où j’étais particulièrement abattue, tournant en rond dans mon bassin et refusant de jouer, j’ai entendu Lisa me parler à voix basse.

Ou peut être était-elle en train de penser.

Je lis dans ses pensées.

J’aimerais pouvoir te faire sortir d’ici ma belle, mais pour cela il faudrait que tu sois malade et que je puisse t’accompagner en salle d’examen…Il me faudrait aussi un complice. Georges pourrait peut être m’aider.

Georges était son petit ami. Il travaillait aussi au delphinarium, mais pas comme dresseur.

Il nettoyait nos bassins, nous donnait du poisson, etc…C’était un travail accessoire pour lui, car il faisait des études en biologie marine pour devenir un jour éthologue.

Les éthologues ne nous dissèquent pas, ils nous observent en pleine mer, dans notre milieu naturel.

Quand Lisa s’est arrêtée de penser à la façon de me sauver, je suis venue près d’elle et ai posé mon rostre entre ses mains.

Nous nous sommes regardées droit dans les yeux, et elle a compris.

Le lendemain, je feignais être malade.

A la vérité je n’ai pas eu beaucoup à me forcer, car je m’étais beaucoup affaiblie dernièrement.

Lisa a pu obtenir mon transfert, affirmant que je ne voulais plus exécuter les tours ni manger, et qu’il fallait me transférer d’urgence vers une clinique spécialisée si l’on voulait éviter de prendre le risque que je me laisse mourir.

Pour un delphinarium, la survie d’un dauphin est une question vitale, une question de retour sur investissement.

Un dauphin qui ne fait pas son show quotidien entraîne une perte potentielle de recettes conséquente.

Sans parler de l’image de marque du centre lorsqu’un dauphin disparait.

On parle souvent d’accident, ou de maladie que l’on place sous le sceau de la fatalité, de la fragilité de l’espèce.

Ni l’un ni l’autre ne sont les fruits du hasard.

Lisa et Georges se sont débrouillés, avec l’aide d’un troisième complice, pour me remettre à la mer.

Ils se sont mis en danger, pour me sauver.

Au début, ils étaient très inquiets.

Je n’avais pas revu la mer depuis ma capture et n’étais plus habituée à pêcher mon poisson.

Dans la mer, nous ne mangeons que du poisson vivant.  En arrivant dans un centre, il nous faut surmonter le dégoût que provoque en nous l’idée de ne plus manger que des cadavres.

Nous finissons par y arriver, c’est une question de survie. Mais rien ne s’efface.

Quand Lisa et Georges m’ont remise à la mer, j’ai pu constater que je n’avais rien oublié à la façon de pêcher ni le plaisir que procure la course au poisson et son goût frais et délicieux.

Pour rassurer Lisa et Georges, je suis allée à la rencontre d’un ban de sardines et en ai ramené plusieurs dans ma gueule, encore toutes frétillantes.

Ils rayonnaient de joie, rassurés et conscients d’avoir fait quelque chose de bien en m’aidant à retrouver la liberté.

En repoussant au loin la pensée de la gravité et des conséquences futures de leurs actes, ils ont fait preuve eux aussi d’empathie, sans tomber dans le piège de la compassion.

Aujourd’hui j’ai rejoint un groupe de dauphins sauvages.

J’ai retrouvé ma joie de vivre parmi les miens.

Je peux nager pendant des kilomètres, faire des vitesses de pointe et sauter autant que je le veux, descendre jusqu’à cinq cents mètres et explorer le fond des océans…

En comparaison, les bassins de la captivité sont une triste cage de béton, une prison lugubre que nous faisons semblant d’aimer devant les spectateurs.

Comment pourrions-nous y être heureux quand ce que nous aimons le plus par nature, l’espace et la liberté, n’existent pas ? 

Qui peut supporter de se voir imposer des compagnons et une nourriture qu’il n’a pas choisis, et de devoir nager dans un mouchoir de poche quand son corps et sa musculature sont faites pour parcourir de grands espaces sous peine de s’atrophier ?

Le confinement forcé nous rend souvent agressifs et dépressifs.

Certains d’entre nous se voient administrer des calmants et autres drogues qui nous tuent à petit feu.

Mais qui se soucie de le savoir quand, au final et sur un simple coup de sifflet, nous sautons et faisons mille pirouettes dans les bassins pour nous donner encore l’impression d’exister et pour pouvoir manger ?

Tandis que le spectateur applaudit pour nous encourager et valider nos exploits, plusieurs d’entre nous meurent en silence avant d’avoir atteint l’âge mûr.

Enea vit toujours en captivité.

Elle perçoit les images du monde naturel où j’évolue, avec ses profondeurs et son espace, ses vagues et les myriades d’êtres qui y vivent, et commence à prendre conscience de sa situation.

Elle a récemment été affectée par la mort d’Estrella, une dauphine qui travaillait dans un bassin voisin du sien.

Estrella a été empoisonnée par le chlore dont sont remplis les bassins.

Nombre d’entre nous ne le supportent pas.

Même si nous ne sommes pas vraiment affectés par son odeur,  le chlore nous pique souvent la peau et les yeux.

Estrella a avalé une algue traînant au fond de son bassin qui était imprégnée d’une trop forte concentration en chlore.

Son organisme ne l’a pas supporté.

Mais Enea s’en remettra.

Nous apprenons tous à nous adapter et à survivre tant bien que mal, avec l’espoir qu’un jour les choses changent.

Je l’ai lu dans les pensées de Lisa : les choses sont en train de changer.

Pas assez vite, certes, car mon espèce continue à se faire massacrer sous certains cieux, mais certains dresseurs repentis plaident notre cause et entrainent avec eux des millions de personnes conscientes de l’injustice douloureuse dont nous faisons l’objet.

Les chercheurs continuent à nous observer, à essayer de comprendre notre langage complexe, et partout dans le monde nous continuons à sauver des hommes échoués en mer, à aider des pêcheurs à nourrir leur village, à rendre la parole à des enfants en danger.

Mais si les hommes savaient ce que nous sommes vraiment, nous n’aurions pas à plaider notre cause pour être épargnés.

Pourquoi avons nous échoué ici, avec l’Homme et sous son pouvoir, nous ne le savons pas encore.

Mais avec l’Homme nouveau, éveillé à sa conscience et sorti des lambeaux de son passé, nous bâtirons de nouvelles civilisations où le droit à la vie et à la liberté sera sacré et respecté par tous.

Je ne suis pas un poisson qui fait des bulles dans l’eau quand il respire.

Je suis un dauphin qui les crée au gré de son humeur, par plaisir, par art ou par jeu…

Atlana, dauphine Tursiops, aout 2015

 

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