L’Agneau et le loup
La raison du plus fort n’est jamais la meilleure
En voici l’évidence, sans boniment d’auteur.
Un agneau s’abreuvait au bord d’une rivière
Quand un loup en famine montra sa gueule austère.
– Comment, vile bestiole, oses-tu salir mon eau
De ta patte cornue, de ton vilain museau !
Vociféra le rosse en se frottant la panse
L’oeil torve et songeant à sa future bombance.
– Que nenni votre altesse, le chétif répondit
Voyez ma patte blanche, je ne suis point hardi.
– Tu réponds, insolent, vitupéra l’ignoble
Quand ton troupeau bêlant souilla mes doux vignobles
Il me faut me venger, te voilà bien placé !
– Mais si vous me mangez, plaida le malicieux
Moi qui suis maigrelet, agnelet, gringalet
A vous voir efflanqué, facile à contenter
Le village tout entier vous viendra lapider !
Laissez-moi donc la vie, que je puisse témoigner
Vous avoir vu croquer deux lapins d’une goulée !
A ces mots notre loup, convaincu de la chose
Prit un air de vainqueur, chassa son air morose.
Il s’en alla très fier, ou du moins en eut l’air
Tout étriqué d’orgueil, mais le ventre en gruyère…
Ce soir-là, bonnes gens, rentrant dans sa tanière
Il ne fit ni gigot, ni curée poulaillère
Mais croqua au souper un rat d’égout immonde
Dégoté à grand peine une nuit vagabonde…
Ah mais que voilà donc, une bien triste histoire
Clameront les gentils, les sensibles au mouchoir
Il faut bien se nourrir, quand on est une bête !
A quoi servent les crocs, si l’on doit faire disette ?
Pourquoi le tendre agneau serait-il sauvé
Face à un loup qui cherche à nourrir sa portée ?
Voilà bien une loi qui souffre discussion…
Mais ce soir, mes amis, oublions la question
Faisons cuire le méchoui, un agneau bien rôti
A la chair tendre et douce, au fondant alangui
Et si le loup gémit, alléché par l’odeur
Qu’il mange son pain noir, et soigne son aigreur !
Eleanor Gabriel
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